unesp UNIVERSIDADE ESTADUAL PAULISTA “JÚLIO DE MESQUITA FILHO” Faculdade de Ciências e Letras Campus de Araraquara - SP MARIA JULIA PEREIRA LA JUSTICE ET LE CONFLIT ENTRE LE DROIT ET LA LOI CHEZ HUGO : ACTES ET PAROLES, LES MISÉRABLES ET QUATREVINGT-TREIZE ARARAQUARA – S.P. 2024 MARIA JULIA PEREIRA LA JUSTICE ET LE CONFLIT ENTRE LE DROIT ET LA LOI CHEZ HUGO : ACTES ET PAROLES, LES MISÉRABLES ET QUATREVINGT-TREIZE Tese apresentada ao Programa de Pós-graduação em Estudos Literários da Faculdade de Ciências e Letras da UNESP de Araraquara para obtenção do título de Doutor em Estudos Literários. Linha de pesquisa: História Literária e Crítica Orientador: Prof. Dr. Adalberto Luis Vicente Coorientadora: Profa. Dra. Claude Millet Bolsa: CAPES e Eiffel Campus France ARARAQUARA – S.P. 2024 P436j Pereira, Maria Julia La justice et le conflit entre le droit et la loi chez Hugo : Actes et Paroles, Les Misérables et Quatrevingt-Treize / Maria Julia Pereira. -- Araraquara, 2024 371 p. Tese (doutorado) - Universidade Estadual Paulista (UNESP), Faculdade de Ciências e Letras, Araraquara, Orientador: Adalberto Luis Vicente Coorientadora: Claude Millet 1. Literatura francesa Séc. XIX. 2. Ficção. 3. Literatura e direito. I. Título. Sistema de geração automática de fichas catalográficas da Unesp. Dados fornecidos pelo autor(a). MARIA JULIA PEREIRA LA JUSTICE ET LE CONFLIT ENTRE LE DROIT ET LA LOI CHEZ HUGO : ACTES ET PAROLES, LES MISÉRABLES ET QUATREVINGT-TREIZE Tese apresentada ao Programa de Pós-graduação em Estudos Literários da Faculdade de Ciências e Letras da UNESP de Araraquara para obtenção do título de Doutor em Estudos Literários. Linha de pesquisa: História Literária e Crítica Orientador: Prof. Dr. Adalberto Luis Vicente Coorientadora: Profa. Dra. Claude Millet Bolsa: CAPES e Eiffel Campus France Data da defesa: 23/09/2024 MEMBROS COMPONENTES DA BANCA EXAMINADORA: Orientador: Prof. Dr. Adalberto Luis Vicente Faculdade de Ciências e Letras de Araraqura (UNESP) Coorientadora: Profa. Dra. Claude Millet representada por Prof Dr. Dominique Rabaté Universidade Paris Cité (UP Cité) Membro Titular: Prof. Dr. Elvis Paulo Couto Universidade Estadual do Rio de Janeiro (UERJ) Membro Titular: Profa. Dra. Guacira Marcondes Machado Leite Faculdade de Ciências e Letras de Araraqura (UNESP) Membro Titular: Profa. Dra. Caroline Julliot Universidade de Lyon III Membro Titular: Profa. Dra. Myriam Roman Universidade de Lille Local: Universidade Estadual Paulista Faculdade de Ciências e Letras UNESP – Campus de Araraquara À ma famille (à minha família). REMERCIEMENTS À mon directeur de thèse M. le professeur Adalberto Luis Vicente et à ma directrice de thèse Mme la professeure Claude Millet, pour avoir cru en la réalisation de cette recherche, pour leur soutien, leurs suggestions et leurs corrections. À l’agence gouvernementale brésilienne Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior (CAPES1) pour l’obtention d’une bourse d’études pendant six mois (de septembre 2021 à février 2022), malgré cette période difficile pour la recherche universitaire au Brésil. À l’agence gouvernementale française Campus France pour l’attribution de la bourse d’Excellence Eiffel pendant douze mois (de septembre 2022 à août 2023), ce qui a rendu possible la réalisation de la cotutelle avec l’Université Paris Cité. Aux membres du Grupo de Estudos da Narrativa (GEN), groupe d’étude et de recherche de l’UNESP, dévoué aux études du récit et du Groupe Hugo, groupe d’étude et de recherche de l’Université Paris Cité, consacré à l’œuvre de Victor Hugo, pour les réunions et discussions si importantes pour cette thèse. À Mme Joelle Mansanti pour la correction syntaxique et grammaticale de la thèse. À Mme Paule Petitier pour la lecture et les suggestions apportées pour ce travail, ainsi que pour ses efforts et démarches afin de mener à bien la composition du jury. Aux membres du jury pour avoir accepté d’évaluer cette étude. À ma famille et à mes amis pour leur soutien. Aux collègues et aux professeurs de troisième cycle pour leurs conseils et leur accueil bienveillant. 1 Le présent travail a été réalisé avec le soutien de la Coordination pour le perfectionnement du personnel de l’enseignement supérieur – Brésil (CAPES) – Code de financement 001. AGRADECIMENTOS Aos meus orientadores, professor Dr. Adalberto Luis Vicente e professora Dra. Claude Millet por acreditarem na realização desta pesquisa, pelo incentivo, pelas sugestões e correções. À agência governamental brasileira de Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior CAPES2 pela concessão de fomento durante seis meses (entre setembro de 2021 e fevereiro de 2022), apesar desse período ameaçador para a pesquisa universitária no Brasil. À agência governamental francesa Campus France pela concessão da bolsa Eiffel ao longo de doze meses do doutorado, tornando possível a realização da cotutela com a Université Paris Cité. Aos membros do Grupo de Estudos da Narrativa (GEN), da UNESP, e do Groupe Hugo (grupo de estudos e pesquisa dedicado à obra hugoana), da Université Paris Cité, pelas reuniões e discussões tão profícuas para o presente trabalho. À professora Joelle Mansanti pela correção sintática e gramatical da tese. À Paule Petitier pela leitura e pelas sugestões para este trabalho, assim como por seu empenho para a composição da banca examinadora. Aos membros da banca por aceitarem avaliar este estudo. À minha família e aos meus amigos, por todo o apoio Aos colegas e professores de pós-graduação, pelos conselhos e acolhimento. 2 O presente trabalho foi realizado com apoio da Coordenação de Aperfeiçoamento de Pessoal de Nível Superior – Brasil (CAPES) – Código de financiamento 001 [...] a atividade do juiz não pode ficar inteiramente adstrita à ação processual-formal, mas tem que mergulhar na tessitura existencial dos acontecimentos, cujas raízes são “mundanas” e não “legais”. Por tudo isto, é válida a experiência judicante, a ciência dos prolongamentos extrajudiciais do caso, para que o juiz possa formar, não a conclusão que convém exclusivamente à lei, mas a que igualmente se ajuste ao Direito. Se antes se devia cumprir a lei, mesmo que o mundo perecesse, hoje deve cumprir-se a lei para que o mundo não pereça. (Tribunal de Justice de Mato Grosso, Brésil, 06 mars 1972, Arrêt confirmatif n. 7.138, Revista dos Tribunais, São Paulo, 1973, p. 199) Great is Justice! Justice is not settled by legislators and laws – it is in the soul; It cannot be varied by statutes any more than love or pride or the attraction of gravity can, It is immutable. Walt Whitman (Leaves of grass, 2019, p. 208) RÉSUMÉ Le point de départ de cette recherche est la dissension hugolienne entre le droit et la loi comme expression du désaccord entre une conception légaliste et une conception morale de la justice. Hugo dénonce dans son œuvre les iniquités engendrées par la loi juridique qui reflète les injustices de la société du XIXe siècle : les peines sévères, la proscription sociale et morale sont des conséquences d’un système de justice injuste, basé sur le légalisme. La loi est l’expression nécessaire de cette société, elle est exprimée par la peine et la vengeance (talion) et l’anankè des lois est conçu en raison (et dans le cadre) de la vie sociale. Le droit, à son tour, s’oppose à la loi dans la mesure où il présente un rapport avec une forme supérieure (morale ou divine) de justice, raison pour laquelle il est indissociable de la conscience et des idéaux révolutionnaires, surtout la liberté. L’utopie hugolienne préconise la fin de la querelle entre ces deux éléments comme l’apogée de la civilisation : il faut d’abord entreprendre le combat politique, faire du droit le phare de la loi. En tant que poète et politique, Hugo réagit à la conception légaliste de justice en problématisant ces questions politiques et philosophiques à travers le conflit entre le droit et la loi et les enjeux qui en découlent (la justice, l’injustice, la pitié, la peine démesurée et la vengeance). Dans Les Misérables et Quatrevingt-Treize, ainsi que dans divers discours d’Actes et Paroles, la justice se rapproche de la pitié et elle configure une quête qui engage la morale en s’opposant à la vengeance. Le sentiment de justice et d’injustice oriente les actions des personnages. Il est engendré chez le lecteur à partir du pathétique. Autrement dit, la perception du juste et de l’injuste s’opère à partir de l’emploi de moyens poétiques et rhétoriques suscitant la pitié. Dans les romans, la voix politique de Hugo est identifiée à ce narrateur remarquant la lutte de l’auteur contre ce qu’il nomme la damnation par la loi. Il y a également des interruptions au cours du récit (digressions et prose poétique). Le chapitre « L’onde et l’ombre », où existe l’idée de la peine en tant que mécanisme qui engendre la misère et le chapitre « La goutte d’eau froide », où Cimourdain se figure Gauvain comme un ange justicier en sont des parfaits exemples. La prose poétique est composée de ressources comme le parallélisme et les figures de style qui présentent des images évoquant le conflit entre le droit et la loi. En outre, la construction, l’action et les transformations des personnages révèlent des conceptions de justice liées à la loi ou au droit et elles soulignent la coexistence du juste et de l’injuste dans leurs trajectoires : Javert et Cimourdain incarnent l’idéologie légaliste ; Myriel, Enjolras et Gauvain réclament une justice idéale en tant qu’équité. L’interaction entre le discours auctorial et le discours des personnages démontre la problématisation de la querelle de la loi contre le droit. En ce sens, nous pouvons mentionner les dialogues qui expriment l’affrontement de ces éléments (Myriel et le Conventionnel G., Cimourdain et Gauvain, Javert et Jean Valjean) ; les monologues (comme l’accusation et la défense de Champmathieu) ; et le discours rapporté qui exprime la manifestation du droit chez les personnages à partir d’une conscience qui oriente leurs actions pour concrétiser le juste et empêcher l’injuste. Cette prise de conscience amène Jean Valjean à révéler son identité pour empêcher la condamnation injuste de Champmathieu. Elle permet à Javert de ne pas exécuter son devoir légal d’arrêter le forçat évadé qui lui avait sauvé la vie. Elle oblige l’aristocrate Lantenac à rentrer à la Tourgue pour sauver les trois petits paysans en se livrant aux républicains et elle conduit le vote de Radoub contre la loi pour l’acquittement de Gauvain. Mots-clés : droit ; Loi ; Justice ; Actes et Paroles ; Les Misérables ; Quatrevingt-Treize ; Hugo. RESUMO O ponto de partida desta pesquisa é a dissensão hugoana entre o direito e a lei como expressão do desacordo entre uma concepção legalista e uma concepção moral de justiça. Em sua obra, Hugo denuncia as iniquidades engendradas pela lei jurídica que reflete as injustiças da sociedade do século XIX: as penas severas, a proscrição social e moral são consequências de um sistema de justiça injusto, baseado no legalismo. A lei é a expressão necessária dessa sociedade, ela se exprime na pena et na vingança (regra de talião) e o anankè das leis é concebido em razão (e na estrutura) da vida social. O direito, por sua vez, se opõe à lei na medida em que ele apresenta uma relação com uma forma superior (moral ou divina) de justiça, razão pela qual ele é indissociável da consciência e dos ideais revolucionários, sobretudo a liberdade. A utopia hugoana preconiza o fim da querela entre esses dois elementos como o apogeu da civilização: enquanto isso, é preciso empreender o combate político de fazer do direito o guia da lei. Enquanto poeta-político, Hugo reage à concepção de justiça legalista problematizando essas questões político-filosóficas por meio do conflito entre o direito e a lei e por meio das questões que lhes são adjacentes (a justiça, a injustiça, a piedade, a pena desproporcional e a vingança). Em Les Misérables e Quatrevingt-Treize, assim como em diversos discursos de Actes et Paroles, a justiça se aproxima da piedade e ela configura uma busca que implica a moral, opondo-se à vingança. O sentimento de justiça e injustiça orienta as ações das personagens e ele é engendrado no leitor a partir do patético, isto é, a percepção do justo e do injusto pelo leitor ocorre a partir do emprego de recursos poéticos e retóricos que suscitam a piedade. Nos romances, a voz política de Hugo é identificada com esse narrador que destaca a luta do autor contra aquilo que ele chama de danação pela lei. Há, igualmente, suspensões da narrativa (digressões e prosa poética) como o capítulo L’onde et l’ombre, em que existe a ideia da pena enquanto mecanismo engendrando a miséria e o capítulo La goutte d’eau froide, em que Cimourdain imagina Gauvain como um anjo justiceiro). A prosa poética é composta de recursos como o paralelismo e as figuras de estilo que inserem imagens evocando o conflito entre o direito e a lei. Ademais, a construção, ação e transformação das personagens revelam concepções de justiça ligadas à lei ou ao direito e elas assinalam a coexistência do justo e do injusto em suas trajetórias: Javert et Cimourdain encarnam a ideologia legalista; Myriel, Enjolras et Gauvain pleiteam uma justiça ideal como equidade. A interação entre os discursos do autor e das personagens demonstram a problematização da querela da lei contra o direito, como é o caso dos diálogos exprimindo o conflito entre esses elementos (Myriel e o convencional G., Cimourdain et Gauvain, Javert et Jean Valjean); dos monólogos (como a acusação e a defesa de Champmathieu); e do discurso relatado exprimindo a manifestação do direito nas personagens a partir de uma consciência que orienta suas ações para concretizar o justo e impedir o injusto. Essa consciência faz Jean Valjean revelar sua identidade para impedir a condenação injusta de Champmathieu; ela faz Javert descumprir seu dever legal de prender o forçado fugitivo que lhe salvara a vida; ela faz o aristocrata Lantenac retornar à Tourgue para salvar as três crianças camponesas entregando-se aos inimigos e ela conduz o voto de Radoub contra a lei pela absolvição de Gauvain. Palavras-chave: direito; Lei; Justiça; Actes et Paroles; Les Misérables; Quatrevingt-Treize; Hugo. ABSTRACT the starting point of this research is the Hugoan dissent between “loi” and “droit” as an expression of the disagreement between a legalistic and a moral conception of justice. In his work, Hugo denounces the injustices engendered by the legal system that reflects the injustices of 19th century society: severe punishments, social and moral proscription are consequences of an unfair justice system based on legalism. The “loi” is the necessary expression of this society, it is expressed in punishment and revenge (the rule of talion), and the anankè of the “lois” is conceived in reason (and in the structure) of social life. The “droit”, on the other hand, presents a relationship with a higher (moral or divine) form of justice, which is why it is inseparable from consciousness and revolutionary ideals, especially freedom. Hugo's utopia advocates the end of the conflict between these two elements as the edge of civilization: in the meantime, it is necessary to undertake the political struggle to make the “loi” guided by the “droit”. As a poet-politician, Hugo reacts to the legalistic conception of justice by problematizing these political-philosophical issues through the conflict between “loi” and “droit” and through the issues adjacent to them (justice, injustice, pity, disproportionate punishment, and revenge). In Les Misérables and Quatrevingt-Treize, as well as in several speeches of Actes et Paroles, justice approaches pity and it configures a search that implies morality, opposing revenge. The feeling of justice and injustice guides the actions of the characters, and it is engendered in the reader by the pathetic that is the perception of justice and injustice by the reader occurs from the use of poetic and rhetorical resources that evoke pity. In his novels, Hugo's political voice is identified with this narrator who highlights the author's struggle against what he calls damnation by the “loi”. There are also suspensions of the narrative (digressions and poetic prose) such as the chapter L'onde et l'ombre, in which there is the idea of punishment as a mechanism engendering misery, and the chapter La goutte d'eau froide, in which Cimourdain imagines Gauvain as an avenging angel. Poetic prose is composed of resources such as parallelism and figures of speech that insert images evoking the conflict between “loi” and “droit”. Moreover, the construction, action, and transformation of the characters reveal conceptions of justice linked to “loi” or “droit”, and they indicate the coexistence of justice and injustice in their trajectories: Javert and Cimourdain embody the legalistic ideology; Myriel, Enjolras, and Gauvain plead for an ideal justice as equity. The interaction between the author's and characters' speeches demonstrate the problematization of the divergence between “loi” and “droit”, as is the case of dialogues expressing the conflict between these elements (Myriel and the conventional G., Cimourdain and Gauvain, Javert and Jean Valjean); monologues (as the accusation and defense of Champmathieu); and as is the case of reported speech expressing the manifestation of justice in the characters from a consciousness that guides their actions to accomplish justice and prevent injustice. This consciousness makes Jean Valjean reveal his identity to prevent the unfair condemnation of Champmathieu; it makes Javert fail to fulfill his legal duty to arrest the man who saved his life; it makes the aristocrat Lantenac return to Tourgue to save the three peasant children by surrendering himself to the enemies, and it leads Radoub's vote against the “loi” for the absolution of Gauvain. Keywords: Right. Law; Justice; Actes et Paroles; Les Misérables; Quatrevingt-Treize; Hugo. TABLE DE MATIÈRES I. INTRODUCTION ................................................................................................................ 14 II. PREMIÈRE PARTIE – LA JUSTICE, LE DROIT ET LA LOI ........................................ 28 1.1 Le Droit et la Loi : un conflit entre justice et légalisme .................................................... 31 1.1.1 L’antagonisme entre justice divine et justice humaine ................................................... 41 1.1.2 Pro jure contra legem : la réaction hugolienne à l’idéologie légaliste ........................... 55 1.2 Le juste au sein du droit et l’injuste au cœur de la loi ....................................................... 67 1.2.1 Peine disproportionnée, inégalité et proscription : signes de l’injustice ........................ 75 1.2.2 Consensus entre le droit et la loi : une utopie hugolienne .............................................. 86 1.3 Le sentiment de justice et d’injustice : la perception du juste et de l’injuste par le lecteur ............................................................................................................................................... 103 1.3.1 La contribution du pathétique au sentiment de justice et d’injustice : le rôle politique de la pitié .................................................................................................................................... 110 1.3.2 La pitié comme juste limite de la peine et la vengeance comme conséquence de la peine disproportionnée .................................................................................................................... 116 III. DEUXIÈME PARTIE – LES MISÉRABLES ET QUATREVINGT-TREIZE : LE CONFLIT ENTRE LE DROIT ET LA LOI DANS LE NARRATIF .................................................... 128 2.1 La loi versus le droit dans l’interaction entre les discours de l’auteur-narrateur et des personnages ........................................................................................................................... 132 2.1.1 Le discours rapporté ..................................................................................................... 137 « Gauvain pensif » ................................................................................................................. 139 « Ce qu’il croyait » et « Ce qu’il pensait » ............................................................................ 144 « Le dedans du désespoir » et « La tempête sous un crâne » ................................................ 148 « Javert content », « Où il est expliqué comment Javert a fait buisson creux » et « Javert déraillé » ................................................................................................................................ 157 2.1.2 Les dialogues ................................................................................................................ 165 Myriel : le Conventionnel, le condamné et l’autorité ............................................................ 167 Javert : Fantine, M. Madeleine et Jean Valjean ..................................................................... 175 Jean Valjean et Marius .......................................................................................................... 182 Lantenac : le cannonier et Halmalo ....................................................................................... 185 Cimourdain : la commission de salut public et Imânus ......................................................... 191 Les monologues ..................................................................................................................... 198 Myriel .................................................................................................................................... 200 Jean Valjean dans le tribunal ................................................................................................. 202 L’accusation et la défense : le jugement de Champmathieu ................................................. 205 Les votes : le jugement de Gauvain ....................................................................................... 209 Lantenac................................................................................................................................. 212 2.2 Le conflit entre la loi et le droit dans la suspension du récit : la prose poétique et la digression ............................................................................................................................................... 214 2.2.1 La prose poétique.......................................................................................................... 214 2.2.1.1 « Aux armes, prose et vers ! formez vos bataillons ! » : la prose poétique chez Victor Hugo ...................................................................................................................................... 217 « L’onde et l’ombre » ............................................................................................................ 221 « La Cadène » ........................................................................................................................ 228 « Oreste à jeun et Pylade ivre » ............................................................................................. 233 « La goutte d’eau froide »...................................................................................................... 237 « Cependant le soleil se lève » .............................................................................................. 243 2.2.2 Les digressions : méditations historiques, politiques et philosophiques de Hugo ....... 251 « La Convention » ................................................................................................................. 254 « Quelques Pages d’Histoire » et « Le 5 juin 1832 » ............................................................ 258 « Les mines et les mineurs » et « Le bas-fond » ................................................................... 262 « Argot qui pleure et argot qui rit » et « Les deux devoirs : veiller et espérer » ................... 265 IV. TROISIÈME PARTIE –L’ANTINOMIE ENTRE LA LOI ET LE DROIT INCARNÉE PAR LES PERSONNAGES .................................................................................................. 268 3.1 Autorité et devoir : les faces de la loi .............................................................................. 270 3.1.1 Javert et Cimourdain : l’autorité incarnant l’idéologie légaliste .................................. 276 3.1.2 Lantenac : l’autorité incarnant la tradition ................................................................... 290 3.2 L’illégalité juste et l’illégalité injuste .............................................................................. 298 3.2.1 La rupture avec la loi au nom du droit : l’illégalité juste ou être contre la loi pour le droit ............................................................................................................................................... 310 Les Amis de l’ABC : le droit à la résistance ......................................................................... 310 Jean Valjean : hors-la-loi dans le droit .................................................................................. 315 Gauvain : la justice sous la formule de la clémence et de l’équité ........................................ 324 3.2.2 La rupture avec la loi et le droit : l’illégalité injuste ou être hors-la-loi et « hors-le-droit » ............................................................................................................................................... 328 Thénardier .............................................................................................................................. 328 Patron-Minette ....................................................................................................................... 333 Lantenac et les Blancs ........................................................................................................... 336 3.2.3 Ni la loi, ni le droit : en dehors de la civilisation ......................................................... 340 Michelle Fléchard et Tellmarch ............................................................................................. 340 V. CONCLUSION ................................................................................................................ 350 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................................ 360 14 I. INTRODUCTION Cette étude résulte d’une recherche initialement développée à la Faculté de Lettres et Sciences Humaines d’Araraquara, de l’Université de l’État de São Paulo (UNESP), entre 2018 et 2020, pendant le master en Études Littéraires (axe Histoire littéraire et Critique), dirigé par M. Adalberto Luis Vicente. Notre mémoire de master est intitulé « Les personnages Myriel, Enjolras, Jean Valjean et Javert dans Les Misérables, de Victor Hugo : des réactions à la conception de justice légaliste ». Le Groupe Hugo – coordonné par Claude Millet, professeure attachée au Centre d’Études et de Recherches Interdisciplinaires en Lettres, Arts et Cinéma (CERILAC), de l’Université de Paris – a été fondamental pour la découverte d’ouvrages et d’études spécifiques sur l’œuvre hugolienne. Les communications disponibles sur le site du groupe ont rendu possible notre investigation. En envisageant la possibilité de continuer et approfondir notre recherche académique sur la question de la justice, du droit et de la loi chez Hugo, nous avons décidé de suivre des études doctorales en cotutelle en France. Nous avons donc contacté Mme Claude Millet, qui a soutenu cette idée avec beaucoup d’enthousiasme. Le mémoire de master mentionné est la raison pour laquelle notre sujet de thèse est lié à ce dialogue entre le discours romanesque et le discours politique de Victor Hugo concernant la justice, le droit et la loi dans Les Misérables, Quatrevingt-Treize et Actes et Paroles. Dans Le Droit et la Loi, Hugo (Actes et Paroles, 2002, p. 67) atteste la querelle entre le droit (expression d’une idée essentiellement divine et morale de justice) et la loi (expression d’une société inique, qui produit des inégalités et, partant, de la justice instituée par cette société). Les conséquences de ce conflit sont souvent dénoncées dans l’œuvre de l’auteur. Cette dénonciation a lieu à travers la combinaison entre le politique et le romanesque. En ce sens, dans Les Misérables (1862), l’anankè (nécessité ou fatalité) des lois est signalée, au niveau thématique et structurel, en tant qu’une imposition de l’organisation sociale. Il existe une distance entre la justice au sens éthique et la loi juridique. Cette distance est issue de la rationalité des Lumières qui engendre le légalisme dans le contexte français de la première moitié du XIXe siècle, en consolidant socialement une conception de justice légaliste, c’est-à- dire l’idée de la loi juridique comme expression légitime de la notion de juste. En considérant l’importance des personnages dans le rapport entre l’histoire et le récit, nous avons examiné dans notre mémoire de master la réaction à cette conception de justice à travers la trajectoire (la construction, les discours, les actions et les transformations) de quatre personnages du roman : Myriel, Enjolras, Jean Valjean et Javert. 15 Dans cette perspective, nous constatons que l’évêque Myriel révèle, par le biais de ses actions, une conception de justice basée sur l'équité. Les transformations de la communauté où il vit, ainsi que celles du récit, résultent de cette conception, dans la mesure où il cherche à réparer les inégalités locales. Le traitement fraternel et égalitaire accordé par lui à Valjean déclenche la trajectoire rédemptrice de l’ancien forçat. Le jeune chef insurgé Enjolras, à son tour, vise également à réparer et à transformer le monde mais à travers l’insurrection qui exprime une rupture absolue avec la loi, la négation de la forme monarchique de gouvernement et de l'ordre social en vigueur. Son sentiment de justice, exprimé par ses discours sur la barricade ainsi que par ses actions, est basé sur l'utopie révolutionnaire, sur l'amour pour la patrie et sur la vertu politique qui visent à l'instauration d'une république juste, capable de prendre en compte les inégalités. Jean Valjean est le protagoniste condamné, lésé et avili par la pénalité sévère imposée par le système judiciaire contre les misérables. Valjean commet son dernier crime à cause d'un sentiment de vengeance issu de l'injustice qu’il a subie (les galères pour le vol d’un pain). Converti après le geste d'altruisme de l'évêque Myriel, il cherche à se racheter en pratiquant le bien et en consacrant sa vie aux démunis. Ainsi, ses actions engendrent des transformations importantes dans le récit en enchaînant les événements du début à la fin du roman. En revanche, Javert est le personnage qui s'oppose au héros : incarnation de l'idéologie légaliste, l'inspecteur de police comprend la loi juridique comme la seule expression du juste et obéit aveuglément à son devoir pour concrétiser la punition légale due à l’ancien forçat. Cependant, lorsqu'il est sauvé par celui qu’il poursuivait, il est confronté à une forme morale de justice qui dépasse son devoir légal. À partir de cet événement, il se trouve contraint à comprendre que l’obéissance à la loi peut engendrer l'injustice. Le légalisme n'est donc pas soutenable et la rupture de Javert avec cette idéologie se termine par son autodestruction exprimée par le suicide. À partir de cette investigation, nous avons compris que, dans la perspective hugolienne, la dissension entre le droit et la loi est d’abord une expression de la divergence entre la justice morale ou divine et la justice humaine. La justice instituée par les hommes est représentée dans Les Misérables et dans Quatrevingt-Treize par le système de justice moderne, hérité de la Révolution française qui instaure la codification moderne. Le mouvement de codification conçoit le code comme un mécanisme de systématisation des lois juridiques, afin de rendre plus efficace et juste l’application des normes. Dans ce contexte historique de la codification moderne et du début du positivisme juridique, il existe une hyper-valorisation de la norme 16 juridique (la codification et le début du positivisme juridique), ce que nous identifions au légalisme (ou à l’idéologie légaliste). À côté de l’égalité juridique (aussi nommée égalité devant la loi), les lois organisées et uniformisées par le code sont une conquête populaire historique. Cependant, dans cette société bourgeoise émergente, les normes juridiques conçues et appliquées dans la logique positiviste révèlent au fur et à mesure leur enjeux et leur finalité de maintenir le status quo en protégeant le pouvoir économique de la bourgeoisie. En tant que poète et homme politique, Hugo dénonce les contradictions de cette société en critiquant précisément son système de justice : il met en évidence que, dans ce contexte, la loi juridique devient un mécanisme qui renforce la misère, notamment à travers la pénalité. L’auteur révèle un point de vue très particulier concernant la norme juridique et le système de justice moderne : il se rend compte du remplacement du dogme de la société d’ordres par la loi juridique de la société moderne. La Révolution française vise à rompre avec l’injustice de l’Ancien Régime traduite par l’arbitraire et l’inégalité : fondée sur des dogmes religieux, la monarchie absolutiste fait respecter ses règles de manière arbitraire, inégale et donc inique. La norme juridique issue du processus révolutionnaire cherche à instaurer un système de justice basé sur des critères et des principes formels capables de mettre fin à ces abus. C’est la raison pour laquelle la métaphore légaliste de Montesquieu (1995, p. 116) – le juge comme une « bouche qui prononce les paroles de la loi » – détermine que l’activité du juge doit se limiter à la prononciation de la norme juridique dans chaque affaire. Les procédures légales sont, en ce sens, mises en valeur comme le moyen d’assurer une décision considérée juste. Cependant, Hugo perçoit que, dans ce système de justice, la loi devient une sorte de dogme du nouvel ordre, de sorte que la justice instituée elle-même engendre des mécanismes qui reproduisent l’arbitraire et l’inégalité. En d’autres termes, l’injustice réside même au cœur de la loi juridique. En ce sens, les jugements de Champmathieu et de Gauvain sont marqués par l’arbitraire et l’iniquité, bien que les juges obéissent aux procédures légales. La perspective hugolienne est visionnaire parce qu’elle problématise, encore au XIX siècle, ce système de justice conçu à partir d’une idéologie légaliste (ou du légalisme), qui considère la loi juridique comme critère de justice et l’obéissance à la loi comme critère déterminant la notion de juste et d’injuste. Ce genre de critique contre le légalisme et le positivisme juridique de manière générale apparaît surtout au XXème siècle après la seconde guerre. Dans Actes et Paroles, Les Misérables et Quatrevingt-Treize, la critique du légalisme par Hugo est construite à partir de cette dissension qu’il repère entre la loi et le droit. L’auteur 17 met en valeur les limitations de la loi et, en opposition à cet universalisme de la norme et des procédures qui peuvent engendrer des injustices, il souligne l’importance de mettre en valeur les particularités dans chaque affaire. Dans sa perspective, observer les particularités devient un critère de justice. En ce sens, en plaidant contre la peine de mort, il parle en faveur des circonstances atténuantes. L’auteur comprend que, si la justice instituée se réduit aux procédures et formalités légales, elle compromet la justice au sens moral, elle se heurte à la notion de juste. Sa perspective contrarie donc l’image de Montesquieu (le juge comme une bouche de la loi), elle est d’abord conforme à celle que nous trouvons dans l’arrêt ci-dessous, issu d’une cour d’appel brésilienne, où le juge rapporteur João Antônio Neto souligne que : […] l’activité du juge ne peut pas se réduire à l’action procédurale-formelle, mais elle doit plonger dans la trame existentielle des événements, dont les racines sont « mondaines » et non « légales ». Pour toutes ces raisons, l’expérience de judicature et la compréhension des prolongements extrajudiciaires concernant l’affaire sont valides afin que le juge puisse former non la conclusion qui convient exclusivement à la loi, mais celle qui convient également au Droit. Auparavant, il fallait respecter la loi même si le monde devait périr, aujourd’hui il faut respecter la loi pour que le monde ne périsse pas (Tribunal de Justice de Mato Grosso, Brésil, 06 mars 1972, Arrêt confirmatif n. 7.138, Revista dos Tribunais, São Paulo, 1973, p. 199, notre traduction3). Hugo plaide pour un système de justice au-delà du code, qui concerne la complexité des événements. Autrement dit, il plaide pour une justice qui convienne non seulement à la loi mais aussi – et surtout – au droit. Dans Les Misérables et dans Quatrevingt-Treize, la justice, le droit, la loi et les éléments qui en découlent, comme le châtiment (la peine) et la réparation, sont fondamentaux non seulement pour l’histoire – déroulement des événements du récit selon Genette (1972) – mais aussi pour le discours narratif (la structure ou forme de ce discours). Autrement dit, dans le récit, ils se manifestent au niveau structurel en tant que constituants du langage. Cela révèle un rapport entre le discours politique et le discours romanesque de Victor Hugo indiquant la pertinence de notre proposition de recherche. En outre, il existe des études littéraires et des études de droit et littérature qui constatent ce rapport de manières variées. En raison de la présence significative, dans l’œuvre hugolienne, de ce dialogue entre le discours 3 [...] a atividade do juiz não pode ficar inteiramente adstrita à ação processual-formal, mas tem que mergulhar na tessitura existencial dos acontecimentos, cujas raízes são “mundanas” e não “legais”. Por tudo isto, é válida a experiência judicante, a ciência dos prolongamentos extrajudiciais do caso, para que o juiz possa formar, não a conclusão que convém exclusivamente à lei, mas a que igualmente se ajuste ao Direito. Se antes se devia cumprir a lei, mesmo que o mundo perecesse, hoje deve cumprir-se a lei para que o mundo não pereça (Tribunal de Justiça de Mato Grosso, 06 de março de 1972, Apelação cível n. 7.138). 18 littéraire (surtout le romanesque) et le discours politique de l’auteur, nous mettons en évidence la représentation de la justice et du conflit entre le droit et la loi dans les deux romans mentionnés à travers l’analyse du pathétique et de son effet chez le lecteur, du rapport entre les discours de l’auteur (ou narrateur) et des personnages, du discours rapporté, du dialogue, du monologue, de la prose poétique, de la digression, aussi bien que de la construction et l’action des personnages. Notre hypothèse de recherche réside dans le fait que l’auteur rassemble le texte politique et le roman à partir des éléments mentionnés (justice, droit et loi) de manière à créer une soudure entre le politique et le romanesque. Cette soudure est mise en valeur par notre étude dans Actes et Paroles et les deux romans mentionnés. Notre sujet de thèse trouve sa justification et sa spécificité, étant donné qu’il n’existait pas encore ce genre d’approche concernant la justice, le droit et la loi chez Hugo en associant particulièrement ces trois ouvrages : Actes et Paroles, Les Misérables et Quatrevingt-Treize. En ce sens, il est fondamental de faire brièvement un bilan sur les études et les ouvrages qui abordent ce sujet dans l’œuvre de Victor Hugo. Il est d’abord important de signaler que ce sujet est fréquemment lié à l’œuvre et à la vie publique de Hugo en raison de ses positions et aspirations politiques visionnaires, comme le combat contre la peine de mort et la dénonciation de la misère engendrée par la loi en tant que mécanisme d’une société qui reproduit ses inégalités par le biais du pouvoir politique. Au Brésil, il n’existe pas de travaux spécifiquement consacrés à ce sujet chez Hugo. Nous ne trouvons pas de thèses qui abordent cette question. Toutefois, il existe des articles, des mémoires de recherche et des mémoires de master4 liés surtout au roman Les Misérables : de 4 Les mémoires de recherche et les mémoires de master se trouvent sur la plateforme « Sucupira », organisé par l’agence « Coordination du Perfectionnement du Personnel de l'Enseignement Supérieur » (Coordenação de Aperfeiçoamento do Pessoal de Ensino Superior – CAPES) du Ministère de l’Éducation brésilien. Les articles peuvent être trouvés sur Google Scholar. Nous mentionnons ci-dessous les références les plus significatives : Alves, Carlos Cesar Carneiro dos Santos. Direito e literatura: um olhar complexo sobre a condição humana na obra Os miseráveis, de Victor Hugo. 2018. 161f. Dissertação (Mestrado em Ciências Sociais e Humanas) – Universidade do Estado do Rio Grande do Norte, Mossoró, 2018. Boff, Salete Oro; Zamam, Neuro José Zamam, “Sentirás o gosto de liberdade”: uma reflexão sobre o direito à liberdade na obra ‘Os Miseráveis’, International Science Place, vol. 11, n. 22, 2016, p. 67-85. Galli, Daniela Spera. Os miseráveis, de Victor Hugo, no cenário da construção da ordem jurídica. 2013. 85f. Trabalho de Conclusão de Curso (Bacharelado em Direito) – Instituto Municipal de Ensino Superior de Assis, Assis, 2013. Lacerda, Thiago Barbosa; Melo, Arquimedes Fernandes Monteiro de. Justiça, desigualdade e punição: a crise de legitimidade do sistema punitivo brasileiro sob a ótica de Victor Hugo em “Os Miseráveis”. Justiça, poder e corrupção. v. 1, 2017, p. 10-25. Anais. Uberaba: V Colóquio Internacional de Direito e Literatura. Medrado, Gabriela Almeida. O Estigma da pena na obra Os Miseráveis de Victor Hugo: Uma Interface entre Direito e Literatura. 2019. 65f. Trabalho de Conclusão de Curso (Bacharelado em Direito) – Universidade Federal da Bahia, Faculdade de Direito, Salvador, 2019. Santino, Rafael Aparecido; Vieira dos Santos, Sandra Regina. Criminologia, direito penal e literatura: “Os miseráveis e as crianças ladronas”. REGRAD - Revista Eletrônica de Graduação do UNIVEM - ISSN 1984-7866, 19 manière générale, ces recherches appartiennent au domaine « droit et littérature » et elles sont développées à partir d’une approche qui ne prend en compte ni la narratologie ni d’autres théories concernant précisément l’analyse littéraire. Ces études ont pour objet la punition (dans une perspective issue de la criminologie et de la sociologie du crime), le droit à la liberté, le rôle de la misère dans le crime et le regard punitif de la société envers le misérable. En revanche, en France, il existe plusieurs études qui examinent de manière plus spécifique la problématique de la justice et du conflit entre le droit et la loi chez Hugo5. Paul Savey-Casard (1956) expose l’idée de justice chez Hugo à partir des perspectives sociopolitique et axiologique en ce qui concerne l’administration (le système pénal) et la morale (la justice dans son acception axiologique, c’est-à-dire, en tant que valeur). Cet ouvrage présente trois chapitres qui abordent, dans l’œuvre de Victor Hugo, le crime, la figure du criminel et sa philosophie, ainsi que la peine comme châtiment issu de ce système de justice. Savey-Casard repère l’unité hugolienne parmi la définition du crime, la nature du criminel et la détermination du châtiment. De façon semblable, Josette Acher (1985) signale, pour ce qui concerne les fonctions de justice et de police, le poids de la loi juridique, à travers la pénalité, sur l’action romanesque et les personnages dans Les Misérables. Selon la chercheuse, il existe une présomption de culpabilité contre les démunis, dans la mesure où la loi juridique ne prévoit à leur encontre que des punitions. Cette présomption de culpabilité pèse toujours sur les misérables de manière à [S.l.], v. 14, n. 1, p. 34 - 50, apr. 2022. ISSN 1984-7866. Disponível em: . Accès le 10 avr. 2023. Silva, Pedro Passos Vicentini. O direito ao esquecimento e a proteção da dignidade dos egressos do sistema prisional: um estudo à luz da obra literária "Os miseráveis". 2018. 76f. Trabalho de Conclusão de Curso (Bacharelado em Direito) – Faculdade de Direito de Vitória, Vitória, 2018. 5Nous mentionnons les articles et les ouvrages suivants : Acher, Josette. L’Anankè des lois. In : Ubersfeld ; Rosa (dir) Lire Les Misérables, 1985, p. 105-123. Gengembre, Gérard. Cette grande chose divine qu'on appelle la Justice ! : le droit, la loi et la justice dans Les Misérables, Histoire de la justice, vol. 23, n. 1, 2013, p. 141-152. Martin, Laurent. Victor Hugo, système et mœurs judiciaires de son temps : Les combats littéraires et politiques de l'auteur à l'endroit de la justice. 2002. Mémoire DEA : Droit et justice, Lille 2. 65f. Millet, Claude. Sentiment d’injustice et politique : Victor Hugo (avec un bref détour par Stendhal et Balzac). In: Bras, G. (org). De l’injustice. Paris: Pont 9, 2019. Roman, Myriam. « Rendre la justice dans les romans de Hugo : de quel droit ? », dans Millet, Naugrette, Spiquel (dir.) 2008 (Choses vues à travers Hugo / Mélanges). Pessin, Alian. La construction littéraire d'une vérité politique : Victor Hugo et la pénalité monstrueuse. Tumultes, no. 6, 1995, pp. 53–73. JSTOR, www.jstor.org/stable/24600001. Accès 14 juin 2020. Roman, Myriam. Le droit du Poète : la justice dans l'œuvre de Victor Hugo. Saint-Etienne : Presses universitaires de Saint-Etienne, 2023. Savey-Casard, Paul. Le Crime et la Peine dans l’œuvre de Victor Hugo. Paris : PUF, 1956, 424 p. Teissier-Ensminger, Anne. Javert suicidographe. Les Misérables ou la désintégration par la loi. In : Teissier- Ensminger, A. La beauté du droit, s. l., p. 117-176, 1999. 20 leur imposer un destin catastrophique, comme c’est le cas de Jean Valjean, de Fantine, de Champmathieu et même du petit Gavroche. Alain Pessin (1995) analyse le point de vue de Victor Hugo (ce qu’il appelle « la vérité hugolienne ») sur le crime et la pénalité en soulignant l’imaginaire mythique de l’écriture de l’auteur. Selon Pessin (1995), chez Hugo, la pénalité réside dans la violence des sentiments : elle est indissociable du dégoût, de la colère et de la fascination qui existent autour du spectacle des exécutions. D’un autre côté, elle concerne également le domaine de la réflexion et de l’action, ce que nous pouvons constater dans le discours politique et dans les interventions de l’auteur pour les condamnés à mort. Dans le domaine littéraire, Hugo envisage la pénalité à travers l’expérience pénale. En ce sens, la description des prisons et la construction de personnages profondément marqués par cette expérience structurent les récits à partir de la mission punitive de la loi juridique. Dans une perspective qui problématise le droit dans la littérature, Anne Teissier- Ensminger (1999) interroge la façon dont, dans Les Misérables, la loi et la justice instituée sont mises en question à travers la trajectoire et la fin (l’autodestruction exprimée par le suicide) de l’inspecteur Javert. Il a le pouvoir et le devoir de concrétiser la punition due à Jean Valjean : le forçat évadé est un criminel qui doit être puni selon les termes de la loi. Cependant, lorsque l’inspecteur choisit de désobéir à son devoir légal, il devient lui-même un criminel, il passe de bourreau à complice de Valjean. Claude Millet (2019) démontre, à son tour, le sentiment d’injustice chez Hugo en remarquant le rapport antagonique (qu’elle nomme « l’antithèse conceptuelle ») entre le droit et la loi. Elle met encore en évidence la présence dans la conscience des personnages d’une puissance de rendre concrète la manifestation morale et divine de la justice. Cette conscience est indissociable de l’acception hugolienne de droit et elle transforme les personnages dans la mesure où elle dirige leur action. En outre, le 21 mars 2023, Myriam Roman publie son ouvrage analysant les questions du système de justice moderne, fondé après la rupture révolutionnaire avec l’Ancien Régime, dans la totalité de l’œuvre de Victor Hugo (discours, roman, poésie, théâtre, voire dessins). La chercheuse aborde la notion technique du droit chez Hugo concernant non seulement le domaine du droit pénal mais aussi le domaine du droit civil. Elle met également en valeur l’intersection entre le juridique et le littéraire à partir de la représentation de la justice dans la pensée hugolienne. Pour le faire, Roman (2023, p. 22-23) prend en compte la notion large de justice chez Hugo : c’est-à-dire, la justice « comme institution, sociale et politique, relevant de 21 dispositifs juridiques et judiciaires », ainsi que « dans sa dimension morale » et « interrogeant un Dieu qui in fine en serait le garant ». Elle contextualise les questions adjacentes à ces acceptions distinctes de justice dans l’état du droit du XIXe siècle. Cette investigation confirme la pertinence et la valeur scientifique de notre étude dans la mesure où elle constate que les questions relatives à la justice chez Victor Hugo sont indissociables de la Révolution française et du système de justice du XIXe siècle qu’en découle. En outre, cette question est élargie dans l’œuvre de l’auteur « à une interrogation sur la justice divine ». Les articles et les ouvrages mentionnés mettent en évidence l’importance de ces éléments – issus du domaine politique et du domaine philosophique – sur l’écriture littéraire (particulièrement sur le roman) de Victor Hugo. À la lumière de ces études, et en se fondant sur sur la narratologie, notre recherche s’attache au dialogue entre le discours romanesque et le discours politique de l’auteur. Dans la sphère politique, la réflexion sur les éléments mentionnés est exposée par plusieurs textes d’Actes et Paroles, notamment dans « Le Droit et la Loi ». Dans la sphère romanesque, elle est illustrée de manière plus développée dans Les Misérables et Quatrevingt-Treize : c’est la raison pour laquelle nous les avons choisis en tant que corpus de cette recherche. Victor Hugo abandonne l’épopée La Fin de Satan – qui reste inachevée et sera publiée après son décès – pour revenir, en 1860, à l’écriture du roman Les Misères, genèse des Misérables, ainsi que pour ébaucher le projet 93, à partir duquel il créera Quatrevingt-Treize. Ce choix de l’auteur peut être compris comme un triomphe de la forme romanesque sur la poésie : privilégier le roman réaffirme la volonté hugolienne – au moment de la publication de Han d’Islande – de répandre par la prose les idées que le « vers français ne reçoit pas » (Leuilliot, 1988, p. 106). Son choix est aussi compris comme conséquence de l’impuissance scripturale de « faire de l’Histoire (la prise de la Bastille) la vérité du Mythe ». La Fin de Satan est une réécriture de la mythologie judéo-chrétienne : Hugo raconte la fin du mal inconditionnel grâce à la réconciliation entre Dieu et Lucifer. L’histoire de Satan est « inachevable », elle appartient au Mythe et l’histoire de l’homme « n’est pas non plus définitive. En revenant aux Misérables, Hugo choisit donc de s’installer dans l’Histoire, dans la modernité » (Leuilliot, 1988, p. 99). En effet, Victor Hugo (L’Homme qui rit, Roman III, 2002, p. 347) signale le lien entre Les Misérables et Quatrevingt-Treize dans la Préface de L’Homme qui rit, où il mentionne sa tentative de concevoir la contrepartie des Misérables à partir d’une trilogie liée à l’Histoire : L’Aristocratie (représenté par L’Homme qui rit), pour peindre l’ancienne Angleterre ; La 22 Monarchie, pour peintre l’ancienne France ; et Quatre-vingt-treize, pour conclure la Révolution. La Monarchie n’est pas apparue en tant que roman indépendant, mais l’idée de cet ouvrage se réverbère dans le récit de Quatrevingt-Treize à travers « les enfances Gauvain » (Leuilliot, 2002, p. 1080). Nous vérifions aussi des échos de ce roman dans Les Misérables par le biais d’un récit qui cherche à reconduire la société moderne « aux circonstances de sa naissance » : 936 y apparaît plusieurs fois (Leuilliot, 1988, p. 100). En ce sens, le Conventionnel G. associe la Terreur à la quête populaire de réparation face aux injustices de l’Ancien Régime. Enjolras équivaut à Robespierre en tant que logique de la Révolution, il appartient à l’école terrible de 93, il a la sévérité de Cimourdain lorsqu’il punit Cabuc et, à la manière de Gauvain, il meurt pour l’avenir. Mabeuf, sur les barricades, se métamorphose en un « spectre de 93 » qui porte « le drapeau de la Terreur » (Hugo, Les Misérables, 2018, p. 1103). Dans cette perspective, Hovasse (2008, p. 773-774) signale que les projets des Misérables et de Quatrevingt-Treize se développent simultanément. Les Misérables est la « conséquence de la transformation des Misères en Misérables et de La Fin de Satan tombée dans un grand bain de prose ». À ce moment-là, Hugo confie à Louis Blanc le projet qui aboutira plus tard à Quatrevingt-Treize. L’auteur organise ses notes concernant la pénalité : « condamnations », « mutilations », « tortures » et « exécutions détaillées ». Il rajoute également dans ses notes des considérations historiques concernant la Révolution, la Terreur et la monarchie. Hovasse (2008 p. 786) affirme que Victor Hugo combine continuellement son œuvre politique avec son œuvre littéraire dans ses réflexions. Cela se révèle également dans ses textes critiques, surtout dans les réflexions organisées « autour de la figure tutélaire du génie, alias William Shakespeare ». La figure du génie est pour l’auteur un « fonctionnaire de la civilisation », celui qui lutte « pour le peuple ». Le « combat contre les règles au nom du goût » est aussi un « corollaire esthétique » de cette lutte qui l’auteur entreprend dans sa trajectoire. En ce sens, il dénonce le besoin d’une « dilatation spirituelle ». Selon Hugo (William Shakespeare, Critique, 2002, p. 592-593), « les lois sont féroces, les mœurs sont bêtes » et cette lutte est « au nom du progrès, contre les mœurs, au nom du droit contre les lois ». Afin de contextualiser le corpus de notre recherche, il est également important de signaler la continuation de la carrière politique de Victor Hugo entre 1862 (date de publication des Misérables) et 1874 (date de publication de Quatrevingt-Treize), ainsi que l’importance de 61793 en tant que la date de l’événement historique de la Terreur. Selon Hugo (Leuilliot, 1988, p. 99), « une date c’est une idée qui se fait chiffre ». 23 l’exil pour sa trajectoire. Pendant l’exil, la genèse de deux romans a lieu, aussi bien que la rédaction de textes célèbres où l’auteur plaide contre la peine de mort en demandant la grâce pour les condamnés, comme « Affaire Tapner. Aux habitants de Guernesey », « John Brown », « Les condamnés de Charleroi », « Affaire Doise », « La peine de mort abolie en Portugal »). Pendant cette période, Victor Hugo consolide sa carrière politique en devenant une figure publique. Dans le texte « Le Droit et la Loi », paru en 1875, Hugo synthétise d’une façon très systématique le conflit entre le droit et la loi déjà rendu concret dans son œuvre littéraire, surtout avec Les Misérables et Quatrevingt-Treize. Effectivement, c’est d’abord dans ces deux romans que l’auteur développe son regard critique concernant le système de justice moderne hérité de la Révolution. Cette perspective critique est développée à partir de la mise en question d’une pénalité cruelle, de l’opposition entre la justice instituée (légaliste) et la justice en sens éthique, aussi bien qu’à partir de la mise en valeur d’une notion morale de juste et d’injuste opposée à une notion légale de juste et d’injuste. En ce sens, à partir de la lecture d’Actes et Paroles, des Misérables et de Quatrevingt- Treize, en prenant en compte la carrière politique de Hugo et la genèse des romans, nous constatons un dialogue entre les discours politique et romanesque. Les romans illustrent ce dialogue dans la mesure où les récits sont rassemblés par l’auteur à partir de la question (morale) concernant la justice et la dissension entre le droit et la loi. Hugo problématise ces éléments tout au long de sa vie publique. Dans son texte politique et dans les récits, il expose les paradoxes d’un système de justice qui, alors même qu’il est issu des idéaux libéraux de la Révolution française et qu’il entend supprimer les inégalités de l’Ancien Régime, il engendre des injustices par le biais de la loi juridique. Dans Les Misérables et dans Quatrevingt-Treize, l’ananké des lois est effectivement exprimé par cette justice instituée dans la mesure où elle reproduit les aspirations d’une société inique, en mettant en œuvre une égalité purement formelle. Le choix du corpus vise à atteindre l’objectif de démontrer dans le texte littéraire (romanesque) la représentation d’un discours politique qui problématise la conception légale et la conception morale de justice, ainsi que le droit et la loi juridique. En ce qui concerne les ouvrages de Victor Hugo, nous choisissons nous référer aux ouvrages choisis en fonction de leurs éditeurs scientifiques. Autrement dit, nous utilisons des éditions critiques ou des éditions dont les textes sont soigneusement vérifiés par des chercheurs spécialistes de l’œuvre hugolienne. C’est le cas de la collection BOUQUINS – Victor Hugo, ŒUVRES COMPLÈTES (version de l’année 2002) – établie, sous la direction de Guy Rosa et Jacques Seebacher, par le Groupe Hugo et publié par la maison d’édition Robert Laffont. Elle 24 comprend neuf parties en quinze volumes. La partie Politique (organisée dans un seul volume) contient les textes d’Actes et Paroles. La partie Roman (organisée dans trois volumes) contient Les Misérables (volume 2) et Quatrevingt-Treize (dans le volume 3) Pour les textes politiques, nous consultons aussi l’édition établie et annotée par Franck Laurent (2001), de la Librairie Générale Française. En ce qui concerne Les Misérables, nous utilisons l’édition critique la plus récente au moment de la réalisation de cette recherche, c’est-à-dire celle publiée en 2018 par la maison d’édition Gallimard, dans la Bibliothèque de la Pléiade, établie par Henri Scepi avec la collaboration de Dominique Moncond’huy. Pour Quatrevingt-Treize, nous utilisons l’édition déjà mentionnée de l’année 2002 (Robert Laffont) et nous consultons également celle de la Librairie Générale Française parue en 2001, sous la direction de Michel Zink et Michel Jarrety, avec introduction et notes par Bernard Leuilliot. Il est important de signaler que ses notes ont été particulièrement enrichissantes pour la bibliographie de notre étude. Pour la mise en page et les règles de citation et référence, nous utilisons les normes de l’Association Brésilienne des Normes Techniques (ABNT) employées dans les universités brésiliennes et très similaires aux normes de l’Association Psychologique Américaine (APA), qui sont une référence dans le monde universitaire français. Pour rendre notre texte plus intelligible aux lecteurs, lorsqu’il s’agit de la citation d’un texte de Victor Hugo, nous mentionnons avant la date de publication le titre de l’ouvrage ou du texte suivi de la page où il se trouve. En utilisant l’édition de 2002 des Œuvres Complètes de Hugo, lorsque nous mentionnons les textes de l’auteur qui n’intègrent pas notre corpus de recherche, nous choisissons également de mentionner le volume auquel ces textes appartiennent. Pour atteindre les objectifs de cette étude, nous nous basons sur certains ouvrages théoriques importants pour l’analyse des éléments du domaine de la narratologie, de la critique et de l’histoire littéraire. Ces études sont importantes dans la mesure où nous proposons l’investigation de la perspective auctoriale, le rapport entre les discours de l’auteur et des personnages, le rapport entre le discours rapporté et la manifestation de la conscience chez les personnages, ainsi que l’investigation de la digression, de la prose poétique, de la construction, de l’action et de la transformation des personnages dans le récit. Nous soulignons, dans cette perspective, Aristote, Barthes, Bénichou, Bernard, Bertrand, Blanchot, Candido, Forster, Hamon, Genette, Ingarden, Jakobson, Otten, Paz, Todorov, Valéry, Vieira et Zumthor. En ce qui concerne le contexte de la codification et du début du positivisme juridique, pour aborder les spécificités de ce que nous nommons légalisme (ou idéologie légaliste), nous 25 utilisons des ouvrages des auteurs qui présentent des études particulièrement consolidées dans le domaine de l’éthique et de la philosophie du droit. À savoir : Aristote, Bobbio, Kelsen, Marx, Perrot et Ricœur. Il est également indispensable d’examiner la fortune critique de Victor Hugo, en considérant les spécialistes en l’œuvre de l’auteur, surtout ceux liés au Groupe Hugo – groupe d’études dévoué à l’analyse des textes littéraires et extra-littéraires (des essais critiques, philosophiques, politiques, historiques) de l’auteur. Ainsi il faut examiner des études de Pierre Albouy, d’Annette Rosa, de Bernard Leuilliot, de Guy Rosa, d’Henri Scepi, de Victor Brombert, de Paul Savey-Casard, d’Yves Gohin, d’Yvette Parent et principalement de Claude Millet, de Josette Acher et de Myriam Roman, étant donné que ces chercheuses présentent des des articles et des ouvrages où elles examinent spécifiquement la question de la justice, du droit et de la loi dans l’œuvre de Hugo. L’objectif général de cette thèse est de démontrer la représentation de la justice et de la dissension entre le droit et la loi dans la combinaison entre le texte politique (Actes et Paroles) et le texte romanesque de Victor Hugo (Les Misérables et Quatrevingt-Treize). Afin de développer notre problématique d’une façon organisée, notre étude est divisée en trois parties composées par chapitres et sous-chapitres. Dans la Première Partie, nous abordons la combinaison entre les discours romanesque et politique à travers l’antagonisme entre le droit et la loi comme expression de la divergence entre une conception légaliste (humaine) de justice et une conception morale (divine) de justice. La dénonciation hugolienne concernant la loi comme mécanisme qui engendre des injustices au sein de la société moderne met en question un système de justice où la loi juridique est le seul critère légitime de détermination du juste. Dans le domaine pénal, la conséquence principale de ce système est la proscription sociale : la pénalité renforce la marginalisation des misérables. Autrement dit, d'une part, le légalisme fonde le système de justice moderne et représente, en opposition à l'Ancien Régime, une conquête historique, une garantie de l'individu contre l'arbitraire de l'État par le biais de l’égalisation du traitement juridique. D'autre part, l'application stricte de la loi et l'obéissance aveugle à la loi engendrent et légitiment, dans l’organisation sociale, une pénalité cruelle, dans la mesure où les exceptions et les particularités ne doivent pas être admises par la loi. Cela résume le légalisme (ou l’idéologie légaliste) critiqué par Hugo. En effet, le principe pro jure contra legem guide la vie publique de l’auteur et justifie sa réaction à l’idéologie légaliste. Cette réaction a lieu par le biais de son combat contre la 26 marginalisation provoquée par la pénalité, par le biais de sa critique contre la loi du talion appliquée dans la peine. De même que le droit doit être le paramètre de la loi, la justice morale (divine), indissociable de la pitié, doit venir corriger cette justice légaliste instituée, de laquelle les représailles sont indissociables. Dans la Deuxième Partie, nous abordons, à partir des romans, l’antinomie entre le droit et la loi à travers l’interaction entre le discours auctorial (le discours du narrateur hétérodiégétique qui se confond avec celui de l’homme politique) et le discours des personnages, ainsi que l’interaction souvent conflictuelle entre les points de vue des personnages. Le discours auctorial exprime les méditations politiques, philosophiques et historiques de Victor Hugo et il peut être en accord ou en désaccord avec les discours des personnages. L’interaction entre les points de vue de l’auteur et des personnages, qu’elle soit consensuelle ou conflictuelle, manifeste les contradictions d’une société dont le système de justice est basé sur l’idéologie légaliste. Nous remarquons cette interaction à travers le discours rapporté, les dialogues (où le conflit est possiblement plus évident à travers l’affrontement entre les personnages) et les monologues. Le discours rapporté révèle le conflit entre le droit et la loi à partir de la conscience des personnages qui oriente leurs actions dans le roman hugolien de manière à concrétiser la justice morale ou divine. Les dialogues expriment l’antinomie entre le droit et la loi et ses conséquences parmi les personnages. La représentation de la justice et le conflit entre la loi et le droit a également lieu, dans les romans, à travers la prose poétique et la digression. Malgré leur caractère anti-romanesque, ces formes figurent des mécanismes pour développer plus directement les réflexions hugoliennes concernant ces éléments et elles révèlent une forte cohésion entre le texte romanesque et le texte politique. Dans la Troisième Partie, nous abordons l’antinomie entre la loi et le droit utilisée par l’auteur pour ébaucher la trajectoire des personnages. Tandis que la loi renvoie à l’autorité et au devoir d’obéissance, le droit renvoie à la justice en tant qu’équité. Dans cette perspective, Javert et Cimourdain, en tant qu’autorités représentant la loi, incarnent le légalisme : la loi devient leur dogme dans la mesure où leur point de vue soutient l’obéissance aveugle à la loi et l’application absolue de la loi comme la seule expression possible du juste. De même que Javert et Cimourdain sont attachés à la loi juridique, Lantenac est attaché au dogme de la tradition : défenseur de la monarchie et de la religion, la vengeance contre la Révolution devient la justification de ses actes et dirige son action dans le roman. Son autorité découle du système de la société d’ordres de l’Ancien Régime, de sa condition d’aristocrate. D’autre part, Gauvain, dans une perspective idéaliste et révolutionnaire, conçoit la justice en tant que clémence et en 27 tant qu’équité, ce que son maître Cimourdain ne peut pas tolérer : cette clémence est envisagée comme une menace pour le gouvernement républicain et pour la Révolution. La proscription est souvent la situation de ceux qui se battent pour le droit même quand cela signifie se mettre hors-la-loi, c’est le cas de Jean Valjean, des amis de l’ABC, Gauvain et Hugo (le poète et l’homme politique) lui-même. Cependant, la proscription a également un côté pervers et criminel : il est possible d’être non seulement hors-la-loi mais aussi hors-le-droit. Cela est mis en évidence dans la configuration et l’action du personnage de Thénardier, de la bande Patron-minette et, dans Quatrevingt-Treize, de Lantenac et ses soldats (les blancs). La marginalisation de Michelle Fléchard et de Tellmarch révèle, à son tour, une proscription issue de l’ignorance. Leur ignorance politique n’est pas un choix : tous les deux personnages sont incapables de prendre parti dans la guerre de la Vendée, bien que les républicains leur proposent une égalité qui peut les bénéficier. La condition de ces êtres est indissociable de leur lien avec la nature. Ils restent donc en dehors de la loi et du droit, complètement attachés à leurs conditions imposées par la société d’ordres : Fléchard en tant que serf et Tellmarch en tant que mendiant. 28 II. PREMIÈRE PARTIE – LA JUSTICE, LE DROIT ET LA LOI La première partie de cette étude est divisée en trois chapitres où nous mettons en évidence la querelle hugolienne de la loi contre le droit, point de départ de notre recherche, en tant qu’une expression du désaccord entre une conception légaliste (humaine) de justice et une conception supérieure (divine) de justice. Dans l’œuvre hugolienne, ce conflit est approché à partir de la justice instituée, l’autorité, la peine. De cette façon, la justice peut être abordée en tant que système de justice ou question morale (le sentiment de justice chez les personnages, chez l’auteur-narrateur et chez le lecteur). L’autorité représentante du pouvoir de l’État est attachée au devoir légal d’obéir à la loi ou de l’appliquer. La peine est engagée dans l’enjeu moral du châtiment disproportionné engendrant l’injustice. Le pathétique (la pitié) et la vengeance sont des mécanismes qui permettent la perception du juste et de l’injuste par le lecteur dans les romans. Dans le premier chapitre, nous cherchons à démontrer la dénonciation par Hugo des iniquités engendrées par la loi juridique qui reflète les injustices de cette société du XIXe siècle : les peines sévères, la proscription sociale et morale sont les conséquences d’un système de justice injuste, basé sur le légalisme. La pénalité est indissociable de ce système, elle est l’expression la plus cruelle de la loi juridique et elle valide des injustices, raison pour laquelle, en tant qu’homme politique, l’auteur signale le besoin de la changer entièrement : il faut refaire les codes, les peines et les prisons. Il faut refaire cette loi – et donc cette société – toujours prête à condamner les misérables, à briser leurs vies et à reproduire la proscription, la marginalisation. De cette façon, la confrontation entre la justice divine et la justice humaine est un déroulement du conflit entre la loi et le droit : la justice supérieure est essentiellement attachée à un sens axiologique de progrès et elle détermine comme un ordre moral fondamental l’humanisation de la justice des hommes, dans la mesure où elle propose la rectification du monde. À cette conception divine de justice, Hugo oppose une conception légaliste de justice qui soutient la loi juridique comme critère déterminant du juste : la loi juridique est assimilée aux normes qui régissent l’ordre social, elle est une manifestation de la justice humaine (la société et ses iniquités). Le droit, à son tour, est assimilé à la manifestation de la conscience et il présente un rapport indéniable avec cette forme supérieure de justice et avec la justice en tant qu’équité (diké) dans un regard républicain préconisant un traitement égalitaire de chacun. Dans la perspective légaliste, la loi juridique repousse la conscience purement morale, vu que les 29 critères qui déterminent le juste et l’injuste sont plutôt circonscrits aux limites formelles de la loi. À partir du texte Le Droit et la Loi, nous percevons que la proposition « pro jure contra legem » est l’un des principes les plus importants de la vie publique de Victor Hugo. Cette maxime est une boussole non seulement pour orienter l’œuvre de l’homme politique mais aussi celle de l’homme de lettres : dans son œuvre littéraire, la loi juridique et les éléments qui en découlent comme la peine, le système de justice et l’autorité, sont souvent représentés comme des instruments servant à pousser les démunis vers la marginalisation. Particulièrement dans Les Misérables et dans Quatrevingt-Treize, nous repérons un autre déploiement de ce principe, il s’agit de la réaction de Hugo à l’idéologie légaliste, autrement dit au légalisme du XIXe siècle qui trouve son expression la plus significative dans le positivisme juridique et dans la codification. La riposte hugolienne à l’idéologie légaliste est, en effet, une opposition à la conception de la loi juridique comme la seule expression possible du juste. Cette réaction est littérairement et politiquement construite et, étant donné que le poétique et le politique sont indissociables chez Hugo, le poète-parlementaire assume la tâche de transformer le monde à travers le langage, en combinant la langue française (le Verbe émané de la tribune) aux valeurs révolutionnaires (républicaines et démocratiques). Dans le deuxième chapitre, les rapports entre le juste et le droit et l’injuste et la loi sont développés en considérant l’enjeu entre légalité et légitimité, ainsi que la coexistence entre république, liberté et conscience (droit) dans les romans et les textes politiques de Hugo. Il est évident que dans le discours hugolien, soit le romanesque, soit le politique, la peine disproportionnée, la proscription et l’inégalité sont des signes de l’injustice liés à la loi à partir du système de justice et de la structure juridique conçus par les Codes. Nous percevons que dans l’œuvre hugolienne, la peine exprime la loi, l’aspiration de la société à l’ordre et à la réparation par le biais de la prison et de l’échafaud. Elle sert plutôt à la stigmatisation et à la marginalisation des individus et elle incarne également le mal renvoyant l’Homme à la condition mythique d’héritier de Caïn. De cette façon, au sein du rapport antagonique entre droit et loi, la peine contrarie la vie et la liberté, principes fondamentaux du droit. La condamnation produit la marque de l’interdiction continuelle dans le milieu social puisque le statut de condamné accompagne pour toujours ceux qui ont reçu la peine : la trajectoire de Valjean démontre que le regard social vers le damné est toujours un regard qui renforce la marginalisation. En ce sens, l’inégalité, la peine démesurée et la proscription sont des signes d’injustice traversant le roman et le texte politique de Victor Hugo. En effet, le discours 30 hugolien est construit à partir de l’injustice assumant la forme des signes mentionnés, soit à travers la dénonciation de leur présence, soit à travers la composition du récit et du discours politique. Ces éléments configurent un fil conducteur des événements du récit et de l’interaction entre les discours de l’homme politique, du narrateur et des personnages. Hugo préconise aussi une utopie : la fin de la querelle de la loi contre le droit. Cela représente un avenir où toutes les formes d’injustice sont éliminées. Cette utopie est un principe des discours et de la trajectoire de l’homme politique ainsi que des personnages romanesques (paroles d’Enjolras, du Conventionnel G. et de Gauvain). La convergence entre la loi et le droit s’insère dans la pensée révolutionnaire : consolider la civilisation et la transfiguration sociale par le biais des idéaux de liberté, égalité et fraternité. De cette manière, cette convergence manifeste le souhait révolutionnaire de la modernité pour la transfiguration du monde ; et le poète-parlementaire se bat avec l’arme du langage pour rendre réel cet avenir en accomplissant son utopie. Dans ce contexte, Hugo soutient donc une république civilisatrice, capable d’assurer les idéaux révolutionnaires d’égalité, liberté et fraternité. Il chante le peuple, la Révolution et un progrès axiologique concernant les valeurs républicaines qui rendent possible le monde plus juste souhaité et ébauché par lui. Nous repérons les échos de ce monde d’équité non seulement dans les discours politiques de l’auteur mais aussi dans les paroles de Gauvain et Enjolras sur les barricades. Ces discours sont thématiquement et structurellement construits par l’utopie du consensus entre le droit et la loi. Dans le troisième chapitre, nous signalons que Hugo, à travers le pathétique, suscite la pitié chez le lecteur en le faisant repenser ses convictions. Le sentiment de justice et d’injustice (la perception du juste et de l’injuste par le lecteur) est construit à travers le pathétique. La pitié comporte un aspect moral mais elle implique plus que cela dans la mesure où elle comporte un aspect éthique collectif en présentant la puissance d’humaniser l’action politique. Elle est liée à l’éloquence qui vient de l’âme pouvant toucher n’importe qui, raison pour laquelle elle demande au lecteur d’abandonner son regard ordinaire sur le monde, ce qui rend possible la formation d’une nouvelle perspective sur la société et ses valeurs. Dans le cadre politique où l’auditoire est l’Assemblée législative responsable de l’activité légiférante, cette nouvelle perspective rend possible la rupture avec le légalisme ainsi que le changement de la loi à partir de la consigne du droit. En réveillant le sentiment de justice et d’injustice chez le destinataire (le lecteur ou le public) du discours, la pitié repousse l’injuste. En ce sens, la réception des Misérables et Quatrevingt-Treize souligne la pitié comme un élément fondamental dans les deux romans. 31 La vengeance, à son tour, n’est point légitime : la perspective talionique ne sert qu’à perpétuer l’injuste, elle précipite toutes les causes, voire les causes justes, dans l’injustice et cela résume bien la critique hugolienne du précepte de talion contenu dans la loi à travers la pénalité. La perspective inexorable de Cimourdain (la Terreur comme une riposte politique juste face aux abus de l’Ancien Régime) ainsi que les représailles des communards (les arrestations et exécutions d’otages) sont insérées dans une conception vengeresse de justice. Seule la pitié7 (la clémence) peut rompre avec cette logique. Dans Les Misérables et Quatrevingt-Treize, aussi bien que dans divers discours d’Actes et Paroles, elle est liée à la justice supérieure (et partant au droit) et elle constitue un paramètre pour la rectification de la justice terrestre (expression de la loi). C’est pourquoi nous pouvons la penser en tant qu’un instrument politique pour établir la juste limite de la peine. De cette façon, le combat politique de Hugo contre ce qu’il nomme la damnation par la loi se manifeste aussi à travers cette opposition entre pitié et vengeance. Ces éléments composent le sentiment de justice et d’injustice chez le lecteur et ils intègrent, à la fois, dans les romans et dans les textes politiques, le conflit entre le droit et la loi. 1.1 Le Droit et la Loi : un conflit entre justice et légalisme Dans la perspective hugolienne, la dissension entre le droit et la loi est une expression du désaccord entre la justice divine et la justice terrestre incarnée par un système de justice réglé par la loi juridique. Victor Hugo dénonce dans son œuvre littéraire et politique la détresse, les iniquités sociales engendrées par cette loi reflétant la société et ses injustices, les peines sévères – particulièrement la peine capitale – et la proscription comme des conséquences d’un système de justice légaliste forcément injuste, étant donné qu’il est basé sur l’égalité formelle, mais non matérielle. Hugo affirme, en tant qu’écrivain et homme politique, une perspective visionnaire par la problématisation de ces éléments (justice, droit, loi) issus des champs politique et philosophique ainsi que par la dénonciation des injustices. Selon Roman (2007, p. 168), les romans hugoliens contiennent « des scènes de justice qui structurent leur composition et leur signification ». En ce sens, nous pouvons mentionner notamment Le Dernier Jour d’un condamné (1829), Claude Gueux (1834), Les Misérables (1862), L’homme qui rit (1869) et 7 Savey-Casard (1956, p. 8) affirme que la notion de justice est absorbée dans la notion de pitié chez Hugo. Dans les romans objets de cette étude, nous apercevons qu’une conception clémente de justice est le mobile de l’action de certains personnages, ce qui est mis en évidence par la relation entre Myriel et Jean Valjean, entre Jean Valjean et Fantine, ainsi qu’entre Gauvain et ses ennemis. 32 Quatrevingt-Treize (1874). Ces ouvrages ont des rapports remarquables avec les réflexions politiques de Victor Hugo concernant la justice, non seulement celles développées dans Le Droit et la Loi, mais également dans d’autres textes des Actes et Paroles, comme La Misère, La Peine de mort, Genève et la peine de mort, Aux habitants de Guernesey, Les Condamnés de Charleroi (Hugo, Actes et Paroles, 2002). Surtout dans Les Misérables et dans Quatrevingt- Treize, nous constatons la représentation de la justice et du conflit entre le droit et la loi au niveau de l’histoire et du texte narratif, autrement dit, au niveau du déroulement des événements et de la structure de ces romans. D’après Bardinter (2007, p. 7), Le dernier jour d’un condamné est l’œuvre à travers laquelle Victor Hugo déclenche, en 1829, une nouvelle voie dans le débat sur l’abolition de la peine de mort : son insurrection contre ce châtiment disproportionné, essentiellement injuste, se base sur son dégoût pour l’échafaud, sur le cas concret, sur l’injustice « personnellement ressentie et intériorisée ». Effectivement, en tant que narrateur et personnage, le condamné fait son appel à la conscience depuis le premier chapitre en se dirigeant désespéramment au narrataire à travers la locution nominale « Condamné à mort ! » qui condense non seulement sa condamnation mais aussi sa caractérisation tout au long du récit vu l’absence de prénom et de patronyme. Cette absence de nom et de prénom met simultanément en évidence l’universalité de sa condition (le condamné peut être n’importe qui), l’effacement de son individualité et la déshumanisation pesant sur lui. Questionner la peine capitale est aussi pris par Hugo comme le devoir politique de reconnaître le droit à la vie, l’inviolabilité de la vie humaine. La peine de mort métaphorisée par l’image du geste de la main qui lâche quelqu’un sur l’abîme – « une exécution capitale, c’est la main de la Société qui tient un homme au-dessus du gouffre, s’ouvre et le lâche » (Hugo, Actes et Paroles, 2002, p. 547) – évoque l’abandon, la proscription reproduite incessamment dans la mesure où elle gère des veuves et des orphelins dont les vies seront broyées par la prostitution et le crime : la peine capitale se révèle donc inutile et nuisible à cette même société. C’est pourquoi il faut réclamer la vraie justice, la justice divine, celle qui se confond avec la conscience et qui doit diriger la justice humaine. En ce sens, les mots de Claude Gueux adressés aux jurés sont une revendication à la conscience du narrataire que nous retrouvons lorsque Hugo s’adresse aux députés français dans les dernières pages du récit. Cette revendication présentée par le mode impératif caractérisant simultanément la demande et le besoin d’un ordre supérieure est tournée vers la justice divine 33 dans la mesure où elle évoque le devoir du jury de pratiquer le juste et le devoir des législateurs de rendre la loi juridique adéquate au juste : Voici, pourtant. Je suis un voleur et un assassin ; j’ai volé et tué. Mais pourquoi ai-je volé ? pourquoi ai-je tué ? Posez-vous ces deux questions, messieurs les jurés. (Hugo, Claude Gueux, Roman I, 2002, p. 874) [...] Démontez-moi cette vieille échelle boiteuse des crimes et des peines, et refaites-la. Refaites votre pénalité, refaites vos codes, refaites vos prisons, refaites vos juges (Hugo, Claude Gueux, Roman I, 2002, p. 878). Dans le cadre de la justice pénale organisée à partir de la Révolution française, où le juge applique la loi et fixe la peine et le jury de jugement détermine la culpabilité de l’accusé (Roman, 2007, p. 170), Claude Gueux essaie de convaincre les jurés de l’injustice engendrée par la loi juridique en leur rappelant la spécificité de son cas, les raisons qui l’ont poussé au crime, raisons qui sont conçues et présentées par le narrateur comme des circonstances atténuantes. Son plaidoyer est construit pour aboutir à la justification de son innocence : c’est comme si les circonstances auxquelles il a été soumis – la misère, la famine, les abus de l’autorité, surtout de la part du directeur des ateliers dans la prison – pouvaient repousser non simplement la peine mais la culpabilité elle-même. Dans ce contexte, il est mis en évidence que la pénalité – expression cruelle de la loi juridique à travers la peine capitale – est hors de toute possibilité de réparation, elle comporte la prescription et la validation de l’injustice pour l’accusé, elle condamne des familles à la misère en produisant des veuves et orphelins (Hugo, Actes et Paroles, 2002, p. 547). En effet, ce système de justice « ne sait que condamner à mort, de manière directe ou indirecte : emprisonner Claude Gueux ou Jean Valjean, c’est condamner les familles qu’ils nourrissaient à mourir de faim » (Roman, 2007, p. 173). C’est pourquoi l’homme politique signale qu’il faut repenser entièrement ce système (la pénalité, les codes, les prisons, voire les juges). Il faut refaire cette loi au nom de laquelle la culpabilité des gueux est définie et leur condamnation est proclamée. Ainsi cet appel à la conscience est une réclamation pour l’humanisation du système judiciaire à travers la réforme de la loi juridique. Il dénonce aussi cette loi comme une circonstance déterminante de la proscription sociale. La proscription, incarnée dans L’homme qui rit par le cadavre pendu en putréfaction rencontré par le petit Gwynplaine, est issue de la société par le biais de la loi juridique. Elle exprime la pénalité ou elle en est une conséquence. De toute façon, elle se révèle indissociable de la loi : 34 Il était simulacre. Ayant sur lui les souffles qui ne s'apaisent pas, il était l'implacable. Le tremblement éternel le faisait terrible. Il semblait, dans les espaces, un centre, ce qui est effrayant à dire, et quelque chose d'immense s'appuyait sur lui. Qui sait ? Peut-être l'équité entrevue et bravée qui est au- delà de notre justice. Il y avait, dans sa durée hors de la tombe, de la vengeance des hommes et de sa vengeance à lui. Il faisait, dans ce crépuscule et dans ce désert, une attestation. Il était la preuve de la matière inquiétante, parce que la matière devant laquelle on tremble est de la ruine d'âme. Pour que la matière morte nous trouble, il faut que l'esprit y ait vécu. Il dénonçait la loi d'en bas à la loi d'en haut. Mis là par l'homme, il attendait Dieu (Hugo, L’homme qui rit, Roman III, 2002, p. 389). Suspendu et pendu au gibet qui forme une équerre, ce cadavre-spectre est une « attestation » : il certifie l’injustice de la peine disproportionnée, irréparable. Il est métaphoriquement le centre d’appui de l’équité. Celle-ci – identifiée chez Aristote (Éthique à Nicomaque, Livre V, X, 1139a1) aux concepts mathématiques de proportion et égalité ainsi qu’au juste (la juste mesure) – est associée par le narrateur à la justice supérieure : elle est au- delà de la justice humaine. Cette équité humainement inatteignable est ce qui peut remettre cette équerre en équilibre dans la mesure où son appui dénonce l’injustice de la loi terrestre. L’être proscrit, « expiré » et « dépouillé » (Hugo, L’homme qui rit, Roman III, 2002, p. 388) par la loi des hommes marque l’attente de la seule justice possible, la justice divine. Dans cette perspective, Roman (2007, pp. 172-173) signale que l’œuvre hugolienne indique fréquemment « l’impossibilité de fonder une justice qui ne soit pas injuste », vu que dans les romans de l’auteur, indépendamment de l’époque concernée, la justice est souvent représentée comme « aveugle et sourde », « manipulée ou contrôlée par les puissants » à travers les scènes qui mettent en évidence l’archaïsme de la loi. Les représentations de la justice chez Hugo révèlent plutôt le tribunal comme instrument d’institutionnalisation du talion, de la vengeance et de l’injustice innée chez la pénalité démesurée (Roman, 2007). Cela est évident dans la scène du jugement de Champmathieu où le pouvoir judiciaire n’est plus qu’un organe théâtral et inerte par les formalités légales, où la constatation des faits pour une décision juste devient impraticable et donc impossible. « Prise dans la logique archaïque du sang versé, la justice est montrée comme un pouvoir de tuer » dans la fiction hugolienne : il existe la « reconnaissance d’un droit de juger » universel dans la mesure où l’intériorisation de la loi est manifestée moralement chez chaque individu par sa conscience, endroit où les débats de la véritable justice ont lieu. C’est la raison pour laquelle les « damnés » – comme Jean Valjean et Claude Gueux – se permettent de juger la société qui les a condamnés (Roman, 2007, pp. 175-176). C’est aussi pourquoi l’appel de la conscience est tellement fort dans les romans hugoliens : Jean Valjean avoue son identité afin 35 de sauver Champmathieu et ensuite il échappe à sa peine pour sauver Cosette et enfin réparer les torts subis par Fantine ; Enjolras et les amis de l’ABC se mettent hors-la-loi pour les idéaux républicains (ils souhaitent une république qui considère les misérables) ; Lantenac se livre à l’ennemi pour sauver les enfants paysans et Gauvain, à son tour, en raison de ce geste, libère Lantenac en enfreignant le décret martial au détriment de sa propre vie. En effet, dans la préface des Châtiments, Hugo (2002, Poésie II) affirme que la conscience humaine est indomptable, elle est une émanation du divin, expression de la pensée de Dieu lui-même. En ce sens, l’enjeu de la justice dans son œuvre est fondamentalement relié aux conflits de la conscience et à la quête de l’inconnu, cet inconnu qui révèle la transcendance traduite par une morale divine que l’auteur cherche à exprimer dans sa trajectoire politique ainsi que dans sa poétique. Le regard vers la vraie justice – supérieure, divine, innée dans la conscience de chaque personne – met en évidence les tendances d’un Romantisme politique engagé dans les questions sociales comme la démocratie populaire, la république, le progrès dans une acception axiologique. Il est aussi engagé dans la quête de la concrétisation des idéaux révolutionnaires de 1789 (liberté, égalité et fraternité). Ce regard est présenté dans les discours hugoliens sur le droit et la loi dans Actes et Paroles, aussi bien que dans les manifestations de l’auteur pour la liberté, l’égalité et contre les peines cruelles, notamment la peine de mort et le bagne. Toutefois, cette perspective est déjà identifiable à partir de la préface des Travailleurs de la mer : La religion, la société, la nature, telles sont les trois luttes de l’homme. Ces trois luttes sont en même temps ses trois besoins ; il faut qu’il croie, de là le temple ; il faut qu’il crée, de là la cité ; il faut qu’il vive, de là la charrue et le navire. Mais ces trois solutions contiennent trois guerres. La mystérieuse difficulté de la vie sort de toutes les trois. L’homme a affaire à l’obstacle sous la forme superstition, sous la forme préjugé, et sous la forme élément. Un triple ananké pèse sur nous, l’ananké des dogmes, l’ananké des lois, l’ananké des choses. Dans Notre-Dame de Paris, l’auteur a dénoncé le premier ; dans les Misérables, il a signalé le second ; dans ce livre, il indique le troisième. À ces trois fatalités qui enveloppent l’homme se mêle la fatalité intérieure, l’ananké suprême, le cœur humain (Hugo, Les Travailleurs de la mer, Roman III, 2002, p. 45). Dans le contexte social, les lois sont une nécessité, quelque chose d’essentiel pour l’organisation de la vie en société : elles sont les règles issues de l’autorité sociale selon la typologie du XVIIIe siècle d’une représentation politique de la division des pouvoirs – législatif, exécutif et judiciaire – dans la configuration de la structure de l’État. D’après Gengembre (2013, p. 143), dans Les Misérables, la critique de la loi se base sur la critique de l’auteur concernant 36 le fonctionnement de la séparation des pouvoirs dans la société du XIXème siècle. Acher (1985, p. 105) affirme, à son tour, que Hugo dénonce, dans le roman, la déformation du droit à cause de la loi juridique : il représente dans son œuvre les injustices issues du conflit entre le droit et la loi. Le droit est biaisé par la loi au sein de la justice humaine, raison pour laquelle la fatalité de la loi pèse surtout dans l’action et dans le sort des personnages dans le roman hugolien. Cela est mis en relief par les condamnations disproportionnées de Jean Valjean et Gauvain, par l’accusation injuste contre Champmathieu (face au tribunal) et contre le canonnier (face à Lantenac) – dont les jugements débutent déjà avec l’intime conviction des juges configurée pour la condamnation de l’accusé. Cela est également mis en relief par Javert et Cimourdain en tant qu’auxiliaires du pouvoir juridique et incarnations de la loi juridique dans son biais le plus rigide, étroit et dogmatique. Myriam Roman8 (2020) signale que le mot « droit » présente une acception spécifique dans la perspective hugolienne : il doit être compris en opposition au mot « loi » et il est conçu par Hugo « dans le cadre d’un état social ». Il ne s’agit donc pas du droit naturel, justification du pouvoir absolu monarchiste, mais au contraire, il s’agit d’une opposition à cette idée dans la mesure où il émane de Dieu : cela signifie qu’il est « immanent à la conscience » qui repousse « tous les types de jougs » (Millet, 2019, p. 274-275). Dans la préface des Châtiments, Hugo (Poésie II, 2002) identifie la conscience humaine à la « pensée de Dieu ». Le droit appartient à la morale, c’est pourquoi il est indissociable de la conscience : la contrainte de la loi est même identifiée à celle de la conscience. Il équivaut à la vie, à la liberté, au juste et au vrai, selon ce que l’auteur atteste dans Le Droit et la Loi (Hugo, Actes et Paroles, 2002, p. 66) et dans Les Misérables (Hugo, 2018, p. 805). La loi « représente le mauvais côté » du droit dans la mesure où elle en est issue avec des distorsions (Roman, 2023a), c’est la raison pour laquelle il y a une « querelle du droit contre la loi » (Hugo, Actes et Paroles, 2002, p. 65) – celle-ci est l’expression nécessaire de la société et son anankè est conçue en raison de la vie sociale (Hugo, Les Travailleurs de la mer, 2002, p. 45) : L’inviolabilité de la vie humaine, la liberté, la paix, rien d’indissoluble, rien d’irrévocable, rien d’irréparable ; tel est le droit. L’échafaud, le glaive et le sceptre, la guerre, toutes les variétés de joug, depuis le mariage sans le divorce dans la famille jusqu’à l’état de siège dans la cité, telle est la loi. Le droit : aller et venir, acheter, vendre, échanger. La loi : douane, octroi, frontière. 8ROMAN Myriam, articles « Droit », « Loi », « Justice » dans Dictionnaire Victor Hugo, sous la direction de Claude Millet avec la collaboration de David Charles, à paraître aux éditions Classiques Garnier. 37 Le droit : l’instruction gratuite et obligatoire, sans empiètement sur la conscience de l’homme, embryonnaire dans l’enfant, c’est-à-dire, l’instruction laïque. La loi : les ignorantins. Le droit : la croyance libre. La loi : les religions d’État. Le suffrage universel, le jury universel, c’est le droit ; le suffrage restreint, le jury trié, c’est la loi. La chose jugée, c’est la loi ; la justice, c’est le droit. Mesurez l’intervalle. La loi a la crue, la mobilité, l’envahissement et l’anarchie de l’eau, souvent trouble ; mais le droit est insubmersible. Pour que tout soit sauvé, il suffit que le droit surnage dans une conscience. On n’engloutit pas Dieu. La persistance du droit contre l’obstination de la loi ; toute l’agitation sociale vient de là (Hugo, Actes et Paroles, 2002, p. 67-68). Cette définition est présentée dans une « perspective libérale, démocratique et aussi spiritualiste » (Millet, 2019, p. 274) : le droit est fixe, permanent, stable et sa non-submersion le rend repérable dans toutes les consciences, comme une marque de la présence divine en chaque individu. Son rapport avec une forme supérieure de justice est donc établi à partir de la manifestation de la conscience, celle-ci se révèle comme une espèce de boussole orientant les actions des personnages pour concrétiser la justice de Dieu. De son côté, la loi est comparée à la fluidité de l’eau – instable, mobile et trouble – et elle est illustrée comme un mécanisme qui lui impose des limitations, soit à travers la réglementation de l’ordre social (douane, octroi, frontière, mariage sans divorce), soit à travers la pénalité (échafaud), le pouvoir autoritaire (glaive et sceptre) et la guerre. La métaphore de l’autorité de « la chose jugée » met en évidence la loi comme la limite concrète pour réclamer la vraie justice (à laquelle le droit est assimilé) parmi les hommes, étant donné que « la chose jugée » impose fin aux litiges face au système de justice. En effet, dans la perspective hugolienne, la manifestation du droit dans le cadre de la justice humaine est forcément soumise au joug de la loi. Ainsi, Victor Hugo a établi une « antithèse conceptuelle » entre le droit et la loi : ces éléments sont polarisés comme des « forces superposées » à travers « l’intégration des métaphores dans une syntaxe d’identification » (Millet, 2019, p. 274-275). Cette antithèse révèle non seulement une opposition, mais aussi une continuité : vu que le droit et la vie sont superposés, la loi – en tant qu’antagoniste du droit – équivaut à la mort. La coexistence entre continuité et antagonism